Musée virtuel de la vénerie du lièvre

Musée virtuel de la vénerie du lièvre

Le livre de Claude Gaucher

Claude Gauchet est né vers 1540 en Île-de-France, dans la petite ville de Dammartin-en-Goële. Il était le fils de Jean Gauchet et de Magdelaine de Corbie, qui appartenaient, tous les deux, à des familles d’officiers domestiques au service des enfants de Henri II et de Catherine de Médicis
Son père a été valet de chambre de Charles IX et e souverain a manifesté très tôt de l’affection pour le fils de son serviteur. Il l’a incité à terminer ses études et à accéder à la prêtrise, puis en a fait un de ses aumôniers.
Charles IX appréciait sa compagnie, celle d'esprit agréable et brillant. Après l’avènement de Henri III, Claude Gauchet est resté aumônier du roi. Des amis lui ont procuré, avant le 10 novembre 1576, la qualité de grand archidiacre de Bayeux, mais comme les évêques de cette ville résidaient le plus souvent à Paris, il a continué à habiter à Dammartin-en-Goële et à fréquenter la Cour.
Très vite rallié à Henri IV, Claude Gauchet est devenu un de ses aumôniers ordinaires. Puis, après la mort en 1600 de l’évêque René II de Daillon du Lude, il semble qu’il ait renoncé à être grand archidiacre de Bayeux. Il a alors obtenu une prébende à Senlis et c’est probablement dans cette ville qu’il a vécu jusqu’à sa mort, après 1620.
On lui doit plusieurs ouvrages, dont et surtout Le Plaisir des champs, son œuvre la plus importante car elle a connu deux éditions de son vivant, l’une en 1583 et l’autre en 1604. Il s’agit d’un long poème divisé en quatre saisons, dans lequel Claude Gauchet décrit les travaux et les amusements des paysans, ainsi que les différents types de chasses et de pêches pratiqués par lui-même et d’autres gentilshommes campagnards.

 

EXTRAIT DU LIVRE DE MONSIEUR CLAUDE GAUCHET : "LA PLAISIR DES CHAMPS" (XVI° siècle)

LA CHASSE DU LIÈVRE
A FORCE.

Quand l'aurore matiniere
Eut desbouclé la barrière
Aux limonniers asteîez
Pour galopper par la plaine
Du ciel, desjà toute pleine
De ses rayons emperlez ;

Monstrant, a-cler, sur la prée,
Une herbette diaprée,
Qui de toutes pars reluit
De maint' ronde goustelette
De rosée tendrelette
Qu'une aure douce conduit ;

Que l'hyronde passagère
Eut tiré la mesnagere
Du reposer ocieux;
Que l'aloëtte mignonne,
En montant, fredonne, et donne
Le bon jour à tous les Dieux ;

Nostre trouppe ensommeillée
Du lict se lance, esveillée,
Au son du cor esclattant,
Qu'un des vallets de chiens pousse
Enflant de grande secousse
Sa veine, et son nerf tendant.

Au son la meute animée
Des chiens courants, enfermée
Dans le chenil se desbat.
Qui pleine et d'ardeur et d'ire,
Aux champs desjà se désire
Pour commencer le combat ».

Si tost qu'est la porte ouverte,
La place s'en void couverte,
Qui çà et là s'estendants,
Folastrement se présentent
Pour estre couplez et sentent
Le cœur gaillard au dedans.

Chascun, fuyant la paresse,
D'une coustumiere adresse,
En selle est desjà monté ;
Desja les chiens à la porte
Ardentz attendent qu'on sorte
Pour doubler leur pas hasté.

A tant la trouppe compaigne,
Se meine par la campaigne,
Pour a-pas entrelassez
Cercher la beste craintive,
Dont, de l'une à l'autre rive,
De nuict, les pas sont trassez. .

Commentaire :
1. Le naturel des chiens de chasse, c'est de se resjouir au son
de la trompe.

La meute que l'on descouple
Qui de coustumiere ardeur,
Courant commence la queste
De la malheureuse beste
Qui jà frissonne de peur ' .

Cà et là la trouppe toute
Evente, esparse, la route;
Au coing desjà d'un pré verd
Je voy la bonne Garette,
Mirault, Verdault, et Trompette
Qui ont trouvé du couvert ?.

Voicy venir, file à file,
Le reste qui court, habille,
Au frais trouvé de la nuict;
Et Garette qui les meine
Fait que par la raze plaine
Toute la meute la suyt.

Ore' en un endroit s'amuse
Pour mieux defïaire la ruse
Du lièvre qui, par maint tour
Ores monte à la montaigne,
Et ores prend la campaigne
Tant que le presse le jour.

Alors que l'aube l'invite
A reffaire un nouveau giste
Où la clarté le surprend;
Au seillon d'une jachiere,
Où au sec d'une bruiere

Commentaires :
Les chiens commencent à deffaire la nuict du lièvre.
Garette, autrefois fort bonne lice (note de l'auteur, en 1583).
Le lièvre se giste souvent où le jour le surprend.

Alentour la meute ardente
Par la grande plaine esvente
Ses pas tracez de nouveau ;
Tousjours Garette, première,
Conduit dedans la jachiere
Des autres chiens le troupeau.

L'abboy quelquefois se double;
Au bruit le lièvre se trouble
De vingt chiens environné,
Qui proches à l'heure à l'heure
De sa malseure demeure,
Enfin aux champs l'ont donné.

Alors un dru clabaudage
S'estend jusques au rivage
Et de la Marne et de Retz ;
Quand d'une course pouldreuse,
La pauvre beste poureuse
Fuit vers les grandes forests,

Greslement la trompe sonne l ,
Et chasque picqueur talonne
Les flancs du viste courtault ;
Faisants de trace ondoyante
Monter la pouldre, volante
Jusques au ciel le plus hault.

Qui jamais, aux bordz de Seine,
Vid la trouppe qui demeine
Mille battoirs redondans ?
Et ouy les coups qui redoublent
Sur les toiles, qui se doublent
Au faix des bras descendans ?

Commentaire :
Il ne fault sonner que le gresle de la trompe quand le
lièvre est sur pieds, sinon aux deffaultx.

Toute la meute compaigne
Haster plus dru ses abois,
Suyvant d'une isnelle course
Le creintif lièvre, qui brousse
Pour gaigner le fort du bois.

Tant plus par la plaine vaste
A pas legiers il se haste,
Tant plus augmente le cœur,
Tant plus la voix redoublée
De l'odorante assemblée,
Qui suyt, pleine de vigueur.

Après, des piqueurs la suite
Toujours poursuivants la fuite
Des chiens courants aux talons,
N'appréhendent point la cheutte
Ny pour fossé ni pour butte
Ni pour travers de seillons. (a)

Tousjours la gaillarde troppe
Apres la meute galoppe
Qui va devant clabaudant,
Et suyt ardente la trace,
Du lièvre, qui grand espace
Va desja se desrobant.

Tantost s'arreste doubteuse
Par la campaigne pouldreuse ;

Le cœur à tous voile d'aise
D'ouyr les chiens, dont la noise
Essourde bois, monts et vaux;
Chascun court, sans recognoistre,
Et suyt Vaboy qui fait croistre
La vigueur aux bons chevaux.
Tantost de plus beau recourt,

Ayant recouvré la sente

Par où le lièvre s'absente

Loing, loing du grand bruit qui sourd.

Or dans la forest obscure
Le pauvret qui ne s'asseure,
Pour reffuge s'est lancé ;
Mais la trouppe bien flairante,
Suyvant son droict, plus ardente
Le suyt où il a passé.

Par la plaine boscageuse
Tourne la beste peureuse
Et jà commence à ruser,
Voyant tousjours plus ardente
La grande bande aboyante
Qui vient après sans muser,

Plus ne sçait où se retraire.,
Sentant ainsi l'adversaire
Opiniastre à sa mort ;
Ores dessus soy redonne,
Et tantost aux chemins donne,
Tantost se relaisse au fort.

Or soit que craintive elle aille
Ou par fustaye ou par taille,
Par montaignes ou maretz,
Soit par obscure vallée,
Tousjours la meute assemblée
S'entend clabauder après.

Voyant tousjours qu'importune
La meute sans faute aucune
Le poursuyt sans s'amuser.

Par la forest verdoyante
Echo s'entend resonnante,
Qui de l'un à l'autre bord,
Porte de longue estendue
La voix des chiens entendue,
Qui redouble par le fort.

La pauvre craintive beste
Entend tousjours la tempeste
Qui tempeste à ses talions;
Elle ne sçait plus que faire,
Oyant ainsi l'adversaire
Qui fuyt par mons et vallons.

Sans deffault la meute toute
Es vente, esparse, la route
D'une plus grande vigueur;
Et bien que le Pelault use
Coup sur coup de quelque ruse,
Elle n'en perd la senteur.

L'esgail qui, sur la verdure
Du matin, encores dure,
Donne plus de sentiment;
Si bien que sans mettre en terre
Le nez peuvent suivre l'erre
Sans fourvoyer nullement.

Aussi par tout où il aille,
Pour néant il se travaille,
Car autant de tours qu'il fait,
Tout autant l'ardente suite
Des chiens talonnants sa fuite
Bien sagement en défait.

Voyant que par la fustaye,
Ny par l'espineuse haye
Il ne peut les éviter,
Il ressort en la campaigne,
Puis tirant vers la montaigne,
Il recommence à poster.

Par fois, le long d'une haye
Il recerche une autre voye,
Et ruze a pas rebroussez;
Puis de l'autre part retourne,
Et là, quelque peu séjourne,
Tant que les chiens soyent passez.

Lors reffuyant de vistesse,
Les chiens en deffault il laisse
Où ses ruses il a fait;
Mais Thienot qui bien s'en doute
En deux coups trouve la route
Que fort bien il a derTait.

Mais voyant que sa finesse
Ne peut faire que la presse
Des chiens il n'ait aux talions ;
Dans l'estang de Vouxiaigne
Entre creintif et se baigne,
Se relaissant dans les joncs '.

Lors la rive est entourée
De la meute demeurée,
Qui cerche dessus le bord
Du lièvre la fresche tracé,
Qui, par l'aquatique place
Cuide retarder sa mort.

Alors chascun prenant garde
Parmy les rozeaux regarde
S'il n'est point caché dedans ;
Thienot qui premier l'advise
Le monstrant, la trompe a prise,
Pour rendre les chiens contents.

Commentaire :
Le lièvre estant bien chassé fait ordinairement ses dernières
ruses dans l'eau.

Qui le voyants tout à l'heure
Sans faire aucune demeure
Dedans l'eau se sont lancez;
Puis d'un généreux courage,
Sans bransler suyvent à nage,
Au bord après luy passez.

[Cependant par la chaussée
La bande s'est avancée.
Pour luy couper le chemin
Qui d'une course pouldreuse
Par la plaine sablonneuse
Vont picquans basse la main.]

En fin voylela qui gaigne
Le plus haut de la montaigne,
Rusant encor' de nouveau ;
Et la meute qui le presse,
Fait pauvret qu'il se relaisse
Tout au milieu d'un trouppeau ».

A l'approcher de la meute
Le pauvre trouppeau s'espeute,
Oyant de bruit tant et tant;
Et bien qu'à course hastive
Le palle berger le suyve,
Si n'arreste-il pourtant.
La meute alors cholerée
Est en deffault demeurée,
D'autant qu'elle ne peut pas
Ressentir, parmy la place,
Et par la brebine trace,
Du ruzé lièvre les pas.

Commentaire :
Les chiens ne peuvent avoir sentiment du lièvre parmi un
trouppeau de moutons.

Rien plus nous ne pouvons faire,
Que loing du trouppeau, retraire
Nos chiens et les recoupler;
Et cercher, parmi la presse,
Le lièvre qui ne la laisse,
Bien qu'il se sente fouller ' .

Dedans le trouppeau bellant
Tousjours caché, le gallant
Ne veut eslongner la trouppe,
Bien que malgré le berger,
Pour dans le toict héberger,
Droict au village il galoppe.

En fin les maisons voyant,
Il va le trouppeau fuiant,
Et secrettement s'advance ;
Puis, rencontrant un fossé,
Là dedans il s'est poussé,
Vuide presque de puissance.

L'ayant ainsi veu plier,
Lors je commence à crier
Pour advenir nostre bande,
Qui sans creinte de chopper,
Recommence à galopper,
Suyvant de vistesse grande.

Lors, pour adresser les chiens
A crier après je viens,
En leur enseignant la trace :
Guerecy! aguerecy !
Hau! il a passé icy !
Et autres termes de chasse.

Estant doncques desco plez, .
Les abois sont redoublez,
Puis, refournis de courage,
Ils se mettent sur les pas
Du lièvre, qui ne peut pas
Ruzant, éviter leur rage.

Commentaire :
Quand un lièvre malmené est relaissé dans un trouppeau,
il n'en sortira qu'à grand force et à son advantage.

Ils suivent de mieux en mieux
Par le grand champ spacieux,
Estant jà la sixiesme heure
Qu'ils courent, et nos chevaux
Bien que las, par montz et vaux
Suivent sans faire demeure.

En fin le lièvre pressé
Des chiens, se voiant laissé
Faict encores quelque ruze;
Mais ne pouvant s'advancer
Beaucoup, se fait relancer
Au plus proche qui l'accuse '.

Pauvret, il tourne alentour
D'une grosse vieille tour
Ja de long temps en ruine,
Et dans un trou d'eschaffault
Il se jette, d'un plain sault,
Derrière un buisson d'espine.

Au-tour du lieu ruineux
Plein de halliers espineux,
Alors la meute s'estonne
Qui courant pleine d'ardeur
Croit que las et plein de pœur,
Le pauvre lièvre buissonne.

Une enceinte nous faisons.
Et la pluspart ne pensons
Que dehors le lièvre en sorte;
Lors nous mettons à cercher
Où il a peu se cacher
Par la ruineuse grotte.

Commentaire :
Un lièvre malmené se fait relaisser souvent.

Or ayants, de la façon,
Veu de buisson en buisson,
Et par lieux pleins de lierre ;
Nous trouvons qu'il est, mal seur,
Relaissé dedans le meur,
A quattre grands pieds de terre.

Lors en bouche nous poussons
La trompe et le relançons
Devant la meuste esjouye,
Qui, clabaudant alentour
De la ruyneuse tour,
Après le lièvre est partie.

Lors qui le void, peut juger
A sa course, le danger
Qui bien proche le menasse ;
Car par les lieux buyssonneux,
En vain il recourt péneux,
Hallebrené de la chasse.

Après avoir quelque temps
Tourné, viré là dedans,
Et en tremeur et en peine ;
Il se relaisse au plus creux
D'un hallier malencontreux,"
Sans vigueur, et sans aleine.

Alors Mirault prompt, et fier
Entre, chault, dans le hallier :
Puis le reste de la suyte
Pesle mesle va suyvant
Cestuy-ci qui va trouvant
La beste, à néant réduite.

Voylescy de toutes parts
Dedans le buysson espars,
Arrivez dessus leur proye,
Qui, d'une outrageuse dent,
Tous le vont en Pair guindant,
Avecq' une tiere joye.

[Les eaux, les champs et les bois
Du cor, du cri, des abois
De tous les costez resonnent
Et les champestres troupeaux
A ce tumulte nouveaux
De peur tremblent et frissonnent.] '

LA CURÉE.

Lors Thienot Poste des dents
Des chiens contents et ardents,
Puis sur l'herbe verdoyante,
Après de sang se souillant,
Adroict va le despouillant
Devant la meute aboyante.

Tandis d'un son hault et clair
On remplit les bois et l'air
Autour de Ja beste morte,
A qui l'on oste la peau,
Le poulmon mort de nouveau,
Que pendre a quelque arbre on porte.

Car tel manger pour le chien,
A vray dire, ne vault rien
Doutant qu'il cause la rage.
Puis de l'une et l'autre main,
De sang on brunit le pain,
De laict, de lard, de fromage.

Puis le forthu cachera
Martin et loing s'en ira
A cent pas de la curée,
Que Thienot en cependant
De gaulles va deffendant
Qu'elle ne soit dévorée.

On abandonne, à la fin,
Aux chiens, chair et laict et pain ;
Puis quand presque dévorée
La Curée l'on verra,
D'autre costé sonnera
Martin la trompe dorée.

Tout aussi tost le picqueur,
Avecq' motz pleins de rigueur,
D'une houssine les chasse ;
Criant : escoute Miraull,
Escoute à luy Billebault!
Leur faisant vuider la place.
Les chiens, aussi tost, on void
Courir au forthu, tout droit,
Qui bien hault en l'aer se monstre ;

Commentaires :
Le poulmon du lièvre ne vaut rien aux chiens.
Mais : est-il bien vérifié qu'il leur donne la rage?
Le fort-hu signifie ici la peau et le corps du lièvre, dont les
chasseurs ne se réservent rien, comme le montre la dernière
strophe. La chair d'un gibier que les chiens ont forcé est d'ail-
leurs un manger médiocre.

Puis Martin, autour de soy,
Voyant redoubler l'aboy,
Leur jette et tire alencontre,

Tandis la corde il tient fort,
Si que des chiens le plus fort
Seul ne le mange où l'emporte ;
Et lors que plus n'y aura
Du lièvre, il remeinera
Sans recoupler la cohorte.

La curée estant faicte, à pas lent et petit,
Nous allons à Beau-jour bien chargez d'appétit.
Nostre maistre d'hostel avait dressé la table
Dessous la belle allée, où le vent amiable,
Et l'aure fresche souffle ; à costé dedans l'eau
Se rafraischit le vin; dessus, le verd rameau,
D'un beau feuillage espois empesche que ne brusle,
De sa cuisante ardeur, la chaulde caniculle
La brigade qui disne; alentour mille fleurs
Nous emplissent le nez de suaves odeurs.
Les verdiers, les linots, les pinçons, à l'ombrage,
Desgoisent alentour leurs voix et leur ramage;
Bref tout plaisir est là; nous ne voudrions changer
Nostre aise aux Diamants, ny à l'or estranger.

De propos en propos nous entrons en devise,
Quand Popot (a) de parler de la chasse s'advise,
Louant celle du cerf, or' celle du sanglier,
Mais plus celle du loup, et vient à me prier
De la conter ainsi (bien que mal discourue)
Qu'aux bois de Sainct Laurent elle avoit esté veue.



08/01/2020
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